Christoph Grund

Le soleil des eaux...

Festival Pierre Boulez
Palais des Sports, Andrézieux-Bouthéron
13 novembre 2004

Hans Zender souffrant, c'est Fabrice Bollon qui dirige
le Südwestrundfunk Sinfonieorchester (SWR) Baden-Baden pour la quatrième soirée du Festival Pierre Boulez de Saint-Etienne, soirée sous-titrée D'hier à demain, qui s'ouvre sur deux œuvres de jeunes compositeurs, créées toutes les deux aux Journées Musicales de Donaueschingen le 17 octobre, par la même équipe. Cet orchestre, rappelons le, est fortement lié au surgissement de la carrière de Boulez, comme compositeur puisque Hans Rosbaud créera à sa tête quelques unes de ses pages, comme
chef puisque c'est avec cette formation qu'il fit ses débuts au pupitre.

Pour commencer, nous entendons Triptychon de Rebecca Saunders.
La pièce, comme son nom l'indique, s'articule en trois parties, et requiert
la participation soliste du piano et de l'accordéon, ainsi que d'un chœur. Pour cette exécution, l'orchestre est rejoint par Christoph Grund, Teodoro Anzellotti et le SWR Vokalensemble Stuttgart. L'écriture de Saunders s'af-firme dans une gravité touchante, concentrée, avec un premier mouvement relativement violent et un troisième installant une régularité cérémonielle envoûtante. La lecture de Bollon bénéficie d'une grande et belle énergie, toute au service d'une partition qui fascine.

Les harmoniques de cordes, sur lesquelles des mélismes effectués
par les bois viennent saisir l'écoute, introduisent les trois mouvements
de A Crypt for Christina de Paul Usher. Moins fragmentée, l'écriture de ce compositeur paraîtra plus tributaire d'une respiration et d'un grand geste recueilli. Avec ses gammes sans fin, l'utilisation de micro-intervalles, la tournerie de motifs récurrents, et une texture d'une minutieuse subtilité, la musique de Usher, bénéficiant d'une interprétation extrêmement soignée et attentive, séduit par des couleurs savantes. Le propos se laisse sans doute moins définir que celui de l'œuvre précédemment jouée ; la complexité de certains jeux d'esprit, que traduisent des jeux de timbres, écrit ses mys-tères à l'encre sympathique...

Après une interprétation remarquable de Ma mère l'Oye de Maurice Ravel
- dont on se rappellera l'exquise féerie du Petit Poucet (2ème mouvement) -, la soprano britannique Julie Moffat rejoint les instrumentistes tandis que l'ensemble vocal gagne une nouvelle fois les gradins pour la fauve célébra-tion inspirée à Boulez par René Char : Le Soleil des eaux. L'ultime version, celle de ce soir, date de 1965, et marque donc exactement la moitié de l'âge qu'aura Boulez en mars prochain. Cette deuxième édition du festival fête à sa manière et avec quelques mois d'avance un anniversaire que seule la programmation de l'EIC fêtera au printemps à la Cité de la Musique (avec notamment la création d'une nouvelle pièce que Elliott Carter écrit spéciale-ment pour cette circonstance, mais aussi Boulez dirigeant la musique de Birtwistle, David Robertson conduisant ...explosante-fixe..., etc.).
La chanteuse de ce soir semble idéale, avec une voix d'une grande agilité, chargée d'une infime pointe d'agressivité propre à servir le sens de ce texte. C'est avec plaisir qu'on entend ici un Boulez dont la dramatisation de l'écri-ture chorale est encore proche de Moses und Aaron de Schönberg.
Avec l'atelier sur Le marteau sans maître hier après-midi, cette splendide exécution du Soleil des eaux ce soir, le triptyque Char de Boulez se trouve ainsi honoré, puisque c'était précisément l'interprétation du Visage nuptial lors d'un concert de l'Orchestre de la Radio Polonaise à Saint Etienne en 2000 qui lançait l'idée de mettre sur pied le festival.

Avec des soli magnifiquement réalisés - violon de Ma mère l'Oye,
violoncelle de La complainte du lézard amoureux, etc. -, une dynamique parfaitement menée par Fabrice Bollon, un équilibre toujours exemplaire,
le SWR Sinfonieorchester Baden-Baden affirme une nouvelle fois son rang parmi les plus grands, offrant de surcroît un programme d'une cohérence remarquable où les deux pièces les plus théâtrales encadrent les moires discrètes d'œuvres qui se livrent moins. Cette soirée est incontestablement exceptionnelle !

Bertrand Bolognesi